Notre histoire

Afin de participer à l’élaboration d’une histoire du syndicat Sud Éducation 31, nous avons rédigé le texte suivant. Espérons qu’il suscitera d’autres contributions, d’autres opinions.
En 1995, à Toulouse, l’extrême gauche joue un rôle déterminant dans la construction d’un nouveau syndicalisme. Alors que les débats à l’intérieur de la CFDT et du SGEN sont virulents, des discussions opposent les différents groupes d’extrême-gauche, parmi lesquels la LCR et l’UTCL quant à la nouvelle stratégie syndicale en train de se dessiner.
Mais si l’on sait qu’à l’origine de Sud PTT et de Sud Rail, ces deux organisations eurent une très grande influence, sait-on qu’ils ne jouèrent que peu de rôle dans la construction de Sud Éducation 31  ? Ceci ne veut pas dire que ce syndicat né de militants issus surtout du SGEN, se tenait à l’écart de ces débats mais qu’il se tourna délibérément vers une application jalouse de la Charte d’Amiens (méfiance vis-à-vis de toute structure verticale, refus des permanents à plein temps, refus de dépendre de toute formation extra syndicale, etc).
De là le différend qui présida à la naissance de Sud Éducation 31. Rappelons-le  : en avril 1996, sur Toulouse, une réunion se tient, à la CFDT, entre des militants en partance du SGEN et des camarades de Sud PTT qui nous conseillent d’intégrer la FSU1. Les camarades de Sud PTT souhaitent nous voir rejoindre la tendance École émancipée et ainsi participer aux combats qu’elle menait de congrès en congrès pour devenir un jour majoritaire à l’intérieur du SNES. Ayant déjà fait le tour de ces manèges à la CFDT, nous refusons d’intégrer la FSU qui était loin du syndicat démocratique, inter catégoriel que nous souhaitions. Après la création de Sud Éducation 31 le différend ne disparut pas.

1. A cette date la fédération compte 18 syndicats dont 14 relevant de l’Education nationale, parmi lesquels le   SNUIPP et le SNES, le premier majoritaire chez les instituteurs et le second chez les professeurs.

Au contraire il s’amplifia par la suite dans la mesure où le G10 entama un rapprochement avec la FSU afin de créer un jour une grande confédération. Cela passa, entre autres, par la création d’un Comité de liaison unitaire intersyndical (CLUI). Cette démarche d’appareil négligeait plusieurs points. D’abord la nature de la FSU. Elle était (et reste) constituée d’une part d’une fédération (en fait le plus souvent, à Toulouse, une coquille vide, limitée à quelques personnes, mais à laquelle le G10 puis Solidaires vont tout faire pour s’associer) et des syndicats de l’éducation. Ainsi, un appel G10-FSU a rassemblé très souvent un petit groupe de sudistes et 2 militants de la FSU  ! Sur le terrain, place du Capitole, à l’exception de 2003, combien de fois avons-nous pu constater cette situation parfois ubuesque  ? D’autre part, le champ syndical de la FSU et de Sud Éducation étant le même, les appels à la grève de la FSU dans le milieu professionnel n’étaient quasiment jamais suivis sauf si ses propres syndicats appelaient  ! Comment expliquer à nos camarades du G10 que l’alliance avec la FSU était non seulement inefficace mais rendait floue l’action de notre propre syndicat  ?
Pour mieux décrire et explique la suite de l’historique nous avons choisi de publier la contribution qui suit. Écrite en 2003, elle donne un aperçu de notre naissance et de notre évolution. Elle a été rédigée par un adhérent qui a quitté depuis Sud Éducation 31 et l’enseignement mais nous adhérons à la totalité du texte.

 

Petite graine, petites graines

Le 2 mai 1996, à l’initiative d’un groupe de militants ayant quitté le SGEN-CFDT après le mouvement social de 1995, se crée officiellement à Toulouse le premier syndicat SUD Éducation en France : SUD Éducation Midi-Pyrénées. La démarche, à laquelle se joignent rapidement des non syndiqués impliqués dans le vaste mouvement social qui vient de se manifester, se veut fondatrice d’un «autre syndicalisme» basé sur un fonctionnement véritablement démocratique (A.G. souveraine) et une volonté farouche de changer les choses (Une autre école, une autre société). L’on nous objecte alors le caractère par trop «romantique» de nos projets, le «renforcement de la division syndicale» qui va en découler, voire même les aspects «sectaires» que revêt la constitution de ce nouveau syndicat ! Ces reproches émanent principalement de militants de la toute jeune FSU (composée essentiellement de l’hybride SNUIPP et du vieux SNES) et qui prétendent détenir les clefs de toute modification du paysage syndical dans l’éducation en prétendant avoir déjà constitué «LA grande fédération alternative» dans laquelle tout le monde pourrait prendre place. Mais pour nous, le fonctionnement interne de la FSU, calqué sur celui de l’ancienne FEN avec ses luttes de tendances et ses syndicats de corporations, contredit nos volontés de démocratie directe et d’implications interprofessionnelles. Nous ne sommes pas seuls, d’autres équipes Sud Éducation se mettent en place durant les mois de mai et juin 1996 (Paris, Saône et Loire, Aisne, Hérault, Rhône…) et à Toulouse les scissions de syndicats issus de la CFDT provoquent, dans la même période, la création de plusieurs syndicats SUD chez les cheminots, dans la santé, à l’AFPA, aux douanes, aux finances, chez les personnels de la fonction publique territoriale, dans le secteur du commerce… Le mouvement n’est pas marginal.

Chauffons la colle

Et très vite, la lutte : Fin Août 96, l’État policier ouvre à la hache les portes de l’église St Bernard où se sont réfugiés les sans papiers et affrète les charters de la honte où il scotche les indésirables. Les intermittents sont déjà menacés d’être rayés de la carte et les maîtres auxiliaires sont toujours plus précaires. Précarité qui d’ailleurs se répand comme une épidémie. Alors, on ne chôme pas : manifs à l’aéroport contre des expulsions, défense de collègues victimes de la hiérarchie, affirmation de la priorité à la lutte contre la précarité dans les mobilisations enseignantes sporadiques de cette fin 96 (carte scolaire, première grève en tenue de sudiste, premiers tracts…). Parallèlement, on prépare nos premières élections professionnelles, celles de décembre 96, développe le syndicat dans l’académie, commence le débat sur la structure nationale SUD Éducation à construire, débat en interpro (G10-31)… Le petit groupe s’étoffe lentement et garde le cap des AG souveraines locales et nationales auxquelles nombre de militants participent tour à tour… Les luttes ne cessent pas de toute l’année scolaire 97, infirmant ainsi les analyses fumeuses sur le prétendu «baroud d’honneur» du mouvement social qu’aurait été décembre 95. Mais le cloisonnement des luttes entretenu par les appareils syndicaux bureaucratiques et inféodés aux partis empêche le retour au «tous ensemble» que Chirac redoute tellement qu’il en dissout l’assemblée nationale. Ressortent alors du chapeau magique les «inséparables» Jospin et Allègre.

 

Précaires contre CRS, Allègre contre la rue, loi Perben contre nous. Union ou Fédération ?

Se succèdent alors des luttes qui, petit à petit, vont aboutir pour ce qui est de l’éducation nationale au gros mouvement de grève de 2000 contre la politique du gouvernement Jospin / Allègre de démantèlement de l’Éducation Nationale. Pour la titularisation sans conditions de concours ni de nationalité de tous les précaires (en Septembre 97, les M.A. en grève de la faim sont expulsés manu militari par les CRS de l’école maternelle Jolimont qu’ils occupent ; nous sommes présents et protestons), pour défendre le droit à circulation de tous et toutes (parrainage de sans papiers), contre les lois Pasqua / Debré, contre les venues des fascistes Le Pen et Mégret à Toulouse (manifs massives et lacrymogénées…), contre les fermetures de postes en particulier en ZEP, contre la hiérarchie qui ne «se sent plus» et veut imposer le manque de moyens par la trique (collectifs de Toulouse Ouest et du Volvestre au premier trimestre 99 à l’émergence desquels nous avons largement contribué)… Et toujours revient l’idée, que l’on met en avant, de la nécessaire convergence et de la priorité à la lutte contre la précarité, problème central dont découlent tous les autres et qui peut justement, en étant mis en avant, créer ces convergences. Le rectorat nous traite de «force de nuisance», la F.S.U. nous voit comme des diviseurs et veut faire passer des concours aux précaires, Perben, ministre de la fonction publique, pond une loi sur la représentativité pour nous empêcher d’élections en 99… .Nous, on change trois fois de locaux jusqu’à 99 où la mairie de Toulouse accepte de nous allouer (avec le G10) un toit dans l’immeuble de la Cépière qui héberge déjà d’autres syndicats, on participe au rude débat sur Union ou Fédération pour la structure nationale SUD Éducation (Sud Éducation Midi Pyrénées proposant plutôt une sorte «d’union fédérative», mélange du positif de chaque projet – la Fédération Sud Éducation est finalement créée en 98 à Lyon). A chaque conflit, nous rejoignent de nouveaux militants, certes en nombre très modeste. On persévère, être majoritaires n’est de toutes façons pas notre ambition. Aux élections professionnelles de 99, plusieurs listes SUD Éducation sont invalidées par la loi scélérate contre laquelle les autres syndicats râlent en apparence mais refusent le boycott solidaire qu’on leur propose (occupation du conseil constitutionnel par Sud Education). Les scores augmentent là où l’on peut se présenter, modestes certes mais être cogestionnaire n’est de toutes façons pas… etc, etc. Création de Sud Éducation dans l’Ariège et l’Aveyron. Puis le providentiel Claude Allègre va unifier la contestation. Eh oui, l’artisan d’une certaine forme de convergence (contre lui), c’est lui. Lui qui voyait le prof d’école nouveau comme le chef d’un orchestre de précaires… L’énorme contestation de mars 2000 entraîne son départ mais pas celui de sa politique. Une nouvelle forme de précarité s’est ajoutée avec les emplois-jeunes consentie par «les gros syndicat représentatifs», mais l’idée de la précarité pivot du système fait son chemin…Création de Sud éducation dans le Tarn.

BOOM ! font AZF et la gôche plurielle

La misérable «programmation pluri-annuelle» bricolée par Lang instaure en fait la précarité comme mode de gestion à la rentrée 2001 (contractuels, vacataires en langues dans le primaire), Mélenchon son collègue voit les LEP comme une succursale du patronat à travers le Lycée des métiers. Les lois Pasqua Debré n’ont pas été abrogées, les privatisations se sont multipliées… Jospin quitte la vie politique en avril 2002 lors d’un 21 avril mémorable. Nous refusons à Toulouse d’appeler à voter ou à ne pas voter. Le journal fédéral Sud Education par contre publie un texte d’Annick Coupé porte parole du G10 national qui contient un appel à voter Chirac. Les remous sont vifs dans la Fédération… Entre Allègre et le 21 avril, Toulouse vit son 21 septembre. L’usine AZF, en explosant, tue des dizaines de personnes et bousille la vie de milliers d’autres. L’attitude de la Hiérarchie est encore une fois déplorable. Elle parle de «fatalité», elle effectue d’énormes pressions pour une reprise des cours à tout prix, minimise l’événement sous un discours de compassion passagère. Nous manifestons pour les réquisitions de logements pour les sinistrés, déposons un préavis de grève à la demande de collègues qui sous pression de leur Inspectrice nient publiquement vouloir faire grève… Sud Education «le vilain canard» qui veut que ce soit la colère qui émerge des larmes au lieu de ce couvercle de bons sentiments qui vise en fait le retour à la norme capitaliste le plus rapidement possible.

 

Combat, trahisons, pertes et profit

A la rentrée 2002, la droite remet le feu aux poudres en voulant gicler les surveillants des bahuts pour les remplacer par des Assistants d’Éducation. Et commence alors le plus grand licenciement de l’histoire de l’Éducation nationale instauré en droit par la gôche plurielle (un CDD c’est un CDD, la durée est déterminée…). Nous soutenons le collectif mis en place par les surveillants et les précaires, intervenons contre la hiérarchie des bahuts qui veut les réquisitionner et nous voilà en avril, mai, juin 2003, le naufrage d’une énorme lutte sur le rocher du sacro saint bac à passer… Les retraites flinguées, les ATOSS décentralisés, les emplois-jeunes licenciés, les précaires sous une pression dingue… Les «gros» représentatifs ont fait leur boulot de sape. La FSU a tué la grève dans l’Éducation au soir du 13 mai après avoir parlé d’avancées en sortant des ministères et en en appelant à ne pas bloquer le bac, la CGT a tué l’extension du mouvement en faisant voter la reprise du travail dans les dépôt SNCF qui avaient décidé de reconduire la grève le 14 et la CFDT a tué… le SGEN, en batifolant avec Raffarin. Les derniers «oppositionnels» qui nous traitaient de «romantiques» en 96 mettent la clé sous la porte et partent…dans la nature. Le mouvement s’est développé grâce aux AG souveraines, à une coordination interpro, principe que nous défendions depuis toujours… Les adhésions explosent à la rentrée 2004, et cette fois-ci des dizaines d’adhérents rejoignent SUD Education qui s’appelle maintenant Haute-Garonne du fait de l’émergence d’autres Sud dans l’académie. Nous changeons en février 2004 nos statuts et claquons la porte à l’éventuelle adhésion de personnels d’autorité. (Inspecteurs-trices et proviseur-e-s, principaux)2. A la lumière de ce qui précède, c’est salutaire. Idyllique Sud ? Sûrement pas. Nous regrettons le suivisme du G10 (qui se nomme maintenant Solidaires) par rapport aux grosses centrales, l’histoire politico amoureuse qu’il entretient avec la FSU sur l’autel d’une hypothétique recomposition style mariage d’intérêt. Nous fulminons contre la syndicalisation des flics et nous nous engueulons à l’intérieur de Sud Educ sur pas mal d’autres sujets et nous sommes quelques fois bordéliques, fatigués mais toujours hargneux.

2. Le Congrès de Lorient, en 2003, confirme notre refus de syndiquer les personnels enseignants du secteur privé confessionnel.

Sud-Education 31 (Texte écrit par des membres fondateurs de SUD éducation 31)