Évaluations nationales et cp à 12 : 0 pour le ministère !

Après la réforme vitrine des CP à 12, il ne manquait plus que les évaluations nationales. L’Etat demande aux enseignant-e-s de les faire subir aux élèves, puis de faire remonter les résultats. Encore une fois, les enseignant-e-s ne sont pas consulté-e-s et mis-e-s à mal par un nombre grandissant de directives. Cela implique de nombreuses conséquences, toutes désastreuses.

 

La réforme des CP à douze a été douloureuse pour bon nombre de collègues. En effet, cette dernière n’a pas tenu compte des infrastructures (certaines classes sont séparées par une cloison, d’autres ont pris la place des bibliothèques d’écoles ou des salles polyvalentes…) et s’est effectuée à budget constant. Ainsi, pour récupérer des postes et les mettre sur les CP sans moyen supplémentaire, le dispositif PDMQDC a été abandonné, le nombre d’effectifs des remplaçant-e-s s’est amenuis et les autres classes sont pour la plupart alourdies.

Cela ne devrait pas nous surprendre quand on voit que l’investissement financier dans le premier degré en France  est 15% inférieur à celui de la moyenne des pays de l’OCDE. De ce fait, aucune prise en charge des élèves n’est effective (aucun accès au RASED pour les élèves de CP par exemple sous prétexte… qu’ils sont douze par classe!). Doit-on rappeler que la moyenne pour les pays de l’OCDE est de 15,1 élèves par classe et que la France est toujours à 23 en élémentaire et 25,5 en maternelle ? Que le ministère arrête de nous faire croire qu’il se préoccupe avant tout des élèves et que les réformes sont des avancées sociales « extrêmes ».

1. En pratique, ces évaluations ne sont absolument pas adaptées:

Le premier ressenti des enseignant-e-s qui ont fait passer ces évaluations en septembre 2017 est qu’elles ne sont absolument pas adaptées car trop complexes. Le vocabulaire employé est difficile et beaucoup de termes sont abstraits, le passage de l’écriture scripte à cursive semble compliqué, le repérage est jugé difficile dans la page, il y a une multitude de tâches différentes, des consignes trop longues, des exercices denses et un timing intenable ! On peut donc d’avance annoncer la mise en échec de la plupart des élèves. Mais ce n’est pas tout ! Elles sont également incomplètes : quasiment aucun exercice n’est axé sur la compréhension en étude de la langue et aucune tâche n’est proposée pour tester la connaissance des décompositions d’un nombre !

De plus, comme le démontre Rémi Brissiaud dans l’expresso du café pédagogique de septembre 2017,  et en accord avec les enseignant-e-s sur la question, certains exercices sont codés comme étant des tâches de dénombrement alors qu’il s’agit de comptage simple, c’est une erreur importante d’analyse. Aussi, rien ne permet de mettre en avant les stratégies mises en place par les élèves pour résoudre un exercice de numération. De ce fait, il est impossible d’évaluer clairement les connaissances numériques générales des élèves. Rien de qualitatif donc !

N’oublions pas d’évoquer les effets inévitablement anxiogènes de ce type d’évaluation pour les enfants comme pour les parents.  Soumettre un-e élève à des évaluations si complexes et dans un contexte peu connu (voire éloigné) dès sa sortie de la maternelle peut avoir des conséquences regrettables (anxiété, agressivité, phobie scolaire, mise en échec etc.).

Enfin, les évaluations nationales sont fastidieuses puisqu’en plus d’être complexes, erronées, et anxiogènes, elles augmentent le temps de travail des enseignant-e-s (appropriation des tâches demandées, préparation des très nombreuses copies, prévision en classe sur plusieurs temps, corrections, remontée des résultats).

Résultat des évaluations : 0 !

 2. Quel est l’objectif d’un jugement si hâtif ? Qu’évalue-t-on réellement ?

Evaluer les élèves dès l’entrée en CP induit qu’ils ont acquis un certain nombre de compétences pendant leur scolarité antérieure. Si les évaluations nationales sont proposées en début de niveau, elles sous-entendent que l’(es) année(s) précédente(s) les y ont préparées. Ici, on remet indirectement en question le travail des enseignant-e-s de la maternelle, en faisant pression sur leur méthode et contenus d’enseignement.  En effet, les programmes de l’Education nationale de la maternelle préconisent de travailler avec les élèves autour d’un vécu proche et commun et de les évaluer à partir d’observations multiples fines et attentives. Or, les évaluations nationales (que les élèves subissent à peine quelques mois après la sortie de la maternelle) n’en sont rien: nombre important d’exercices à effectuer individuellement et à l’écrit, sans prise en compte d’un vécu commun ni observations précises. Le dispositif de test national induit donc un changement implicite de pratiques dès la maternelle puisque si aucun-e enseignant-e ne s’adapte à ces évaluations et ne préparent les élèves, ils-elles seront (encore plus) mis en difficulté. On veut ainsi changer les habitudes des enseignant-e-s mais sans modifier les programmes. Astucieux !

Aussi,  ces évaluations, au vue de leur mise en oeuvre, vont dans le sens d’une idéologie sommative plutôt que formative. Personne ne parle de la façon dont ces évaluations vont aider les élèves à progresser davantage, et les enseignant-e-s à mieux anticiper leurs difficultés.

Les défenseur-se-s de ce dispositif évoquent l’idée d’une seconde évaluation en fin d’année de CP, pour mesurer les progressions entre le premier et le deuxième test, ce qui donnerait alors plus de sens. Encore une fois, pour quoi faire ? Cela induit que l’élève de CP dispose d’une année pour apprendre à lire et comprendre, compter et calculer.

Que fait-on alors des cycles? et de la prise en compte du développement personnel de l’enfant?

Selon le site Eduscol, l’organisation par cycle permet de « prendre en compte la progressivité des apprentissages et les besoins des élèves pour les accompagner dans l’acquisition des compétences ». Le cycle 2 est celui des « apprentissages fondamentaux » où les compétences doivent se construire progressivement (du CP au CE2 inclus), en fonction du rythme des élèves, et où ainsi le redoublement est évité. Les notions de progrès et développement sont des termes sur lesquels l’Education Nationale insiste. Et pourtant, que penser d’une évaluation dès le début d’un cycle et une seconde à la fin du premier niveau de ce cycle si l’on est censé laisser le temps à l’élève d’entrer dans les apprentissages à son rythme?

En parlant de rythme, un article de Meidapart paru à la rentrée 2017 rappelle la différence qui existe entre les enfants de cet âge et se demande alors « quel taux de réussite doit être attendu pour des élèves qui ont entre 5 ans, 9 mois et 3 semaines et 6 ans, 9 mois et 20 jours? ».

L’argument d’évaluer une progression sur un seul niveau n’est donc ici pas justifiable, et même contradictoire.

De plus, la rumeur court que ces évaluations pourraient s’étendre à tous les niveaux de l’élémentaire, à l’aide d’outils évaluatifs. Outre les arguments précédents concernant les cycles, ce genre de dispositif mettrait indéniablement la pression aux élèves et à leurs parents ainsi qu’aux enseignant-e-s. Qu’arrivera-t-il à un-e enseignant-e qui fait remonter de « mauvais » résultats chaque année ? et aux élèves ? On peut ici aisément parler d’un autoflicage, où chaque enseignant-e qui décide d’évaluer ses élèves prend le risque de faire remonter des résultats « pas assez bons » et d’en subir les conséquences puisque la « qualité » de la pédagogie semble se mesurer ici proportionnellement aux résultats des évaluations. Ce serait alors un levier possible pour juger les enseignant-e-s au mérite et pourquoi pas faire influer leur progression de carrière.

Dans le même sens, ne va-t-on pas vers une mise en compétition des enseignant-e-s et plus largement des écoles ? Cela pourrait en effet mettre en tension et en concurrence les enseignant-e-s et les établissements.  Et puisque ces chiffres doivent être remontés au ministère, pourquoi ne pas imaginer que ce dernier les traduisent publiquement en classement par « niveau » des écoles primaires?

On le voit déjà dans le secondaire, où la mise en compétition des établissements existe et n’inspire rien de bon.

On n’évalue plus pour différencier, faire progresser et aider les élèves mais pour contrôler l’enseignement et comparer les élèves, les personnels et les écoles. Anti-pégagogique vous dites ?

3. Les élèves ne sont en somme que des cobayes, au service d’un engrenage bien plus dangereux qu’on ne veut nous le faire croire.

Les évaluations sont proposées de façon complètement décrochée, c’est à dire qu’elle ne font pas directement suite à un apprentissage, et les connaissances et compétences testées ne sont pas forcément travaillées de la même façon en classe. Ce qui met en difficulté les élèves les plus éloigné-e-s de la culture scolaire. Parce que parallèlement, on n’apprend pas aux élèves à se détacher de cette culture, à réinvestir leurs connaissances, ni dans un contexte éloigné de celui de la classe ni même dans un cadre interdisciplinaire. Réutiliser ses connaissances dans des savoirs faire détachés de l’école n’est pas une compétence commune, et trop peu préconisée par le ministère. C’est l’environnement proche de l’élève qui influera sur ce type de savoirs. Ni les programmes de l’éducation nationale, ni les outils et les formations officielles proposées aux enseignant-e-s n’offrent la possibilité de donner aux élèves les capacités d’acquérir un bagage actif commun pour s’émanciper.

A aucun moment l’élève n’est considéré-e comme un individu en tant que tel, apprenant au sein d’une communauté active et dans un contexte particulier. On ne prend en compte que ses résultats et performances individuelles. Rien ne s’intéresse à la capacité des élèves à travailler en groupe. Mais l’on ne peut mesurer avec du chiffre que des éléments quantifiables. Cette volonté de faire du quantitatif à tout prix révèle bel et bien l’idée que les pédagogies et les élèves ne sont pas les priorités des réformes mises en oeuvre par le système éducatif. L’unique objectif est la strandardisation des pratiques, l’uniformisation institutionnelle des savoirs, préparant nos élèves au monde de l’entreprise en bonne et due forme. Un catalogue de compétences validées et révélées chaque année que les entreprises pourront consulter librement. On n’est pas bien là?

4. Les remontés des résultats: informations confidentielles ?

Après Base élève en 2007 puis le LSUN en 2016 (dont l’étude des statistiques a été confiée à Google), ces évaluations nationales et leurs remontées sont un élément supplémentaire de recueil d’informations pour ficher les élèves. L’Etat français pourra désormais connaître précisemment les acquis de chaque élève, l’assiduité, le comportement, les difficultés précises et les dispositifs d’aide dont il pourra bénéficier, mais également les informations concernant son état de santé et ses origines sociales. Plus rien ne semble lui échapper…

Pour la rentrée 2017, aucune circulaire ne donnant un cadre formel à ces évaluations n’a été publiée dans le Journal Officiel. Elles n’ont donc pas été rendues obligatoires mais il est prévu qu’elles le deviennent dès septembre 2018…

 

Pour SUD Education, ces évaluations sont incompatibles avec les valeurs et pratiques d’une école que nous défendons: égalitaire, émancipatrice et autogestionnaire.

C’est pourquoi nous refusons de faire subir ces évaluations nationales aux collègues et aux élèves et invitons les équipes pédagogiques à discuter ensemble des moyens d’y résister.