Reprise dans les établissements scolaires. Ils ne sont pas irresponsables ou incompétents, ils ont d’autres intérêts que nous !

Une réouverture intéressée et criminelle

Les annonces gouvernementales de la semaine dernière indiquent que les écoles pourront rouvrir à partir du 11 mai. Il s’agit de ne pas se faire d’illusions ; loin d’être animée par une volonté pédagogique ou égalitaire, cette annonce est avant tout intéressée : il s’agit d’offrir une garderie au Medef afin que les travailleur.euse.s retournent au travail et ainsi que l’économie puisse être relancée.

La situation sanitaire ne permet pas une reprise des cours aussi précipitée, c’est un leurre que de se dire qu’il y aura suffisamment de tests et de protections pour garantir la sécurité des enfants, des personnels et de leur entourage. Le CHSCT au niveau national s’est même inquiété de cette décision.

Revenons sur les risques causés par une réouverture.

C’est d’abord la mise en danger de la santé physique des travailleur.euse.s et de leurs proches. Dans une école, en plus des enfants et des enseignants, c’est toute une population qui se croise à longueur de journée (AED, animateur.rice.s du Clae, personnels technique, AESH…). Comment mettre en place des gestes barrières efficaces quand, par exemple il n’y a pas assez de place dans la salle des maîtres pour que tous.te.s les enseignant.e.s mangent en même temps ? Est-ce que les personnes atteintes de facteurs de comorbidité (hypertension, diabète, asthme…) vont devoir retourner au travail ? Qu’en est-t-il des personnels qui vivent avec des personnes atteintes de comorbidité ? C’est aussi la mise en danger physique du public : des enfants et de leur famille directement. Auquel s’ajoute la possibilité que les familles transportent ensuite le virus sur leur lieu de travail. Par effet de ricochet, les risques de transmission sont donc évidents.

Par ailleurs, cette réouverture induit des dangers pour la santé mentale des enfants et des personnels.

D’abord, adultes et élèves seront plongés dans un état de stress permanent (de contaminer, d’être contaminé.e.s). Ensuite, les activités dans les établissements seront conduites par le contrôle constant des corps, avec ses tensions et ses angoisses (empêcher les échanges, limiter les communications, les déplacements ou de porter ses mains au visage). Comment les élèves vivront-iels ces contraintes imposées à leurs gestes et à leurs paroles ? Enfin, cette réouverture induit des risques, pour certain.e.s, de stigmatisation et de détresses psychologiques. Quel regard sera porté sur les enfants de soignant.e.s par exemple ?

Le stress, le contrôle des corps et la détresse risquent de prendre une place considérable dans les journées et de transformer profondément le métier d’enseignant.e.

L’accent mis sur les demi-groupe et la réduction de l’école à la simple salle de classe, ne doit pas occulter le fait qu’on va en réalité nous demander de se croiser dans des couloirs, des sanitaires, dans les cours de récréation, dans les cantines.

Aussi, après 2 mois de confinement, sans voir sa famille, ses amis, sans avoir pu se réunir physiquement, tout à coup il deviendrait possible de se retrouver parfois à plus d’une centaine de personnes (certains lycées comptent plus de 1500 élèves) dans un même lieu tout en respectant des distances sanitaires ?

Dans ces conditions on voit bien, qu’une réouverture ne permettra pas d’aborder le versant pédagogique de notre métier. L’enseignant.e passera son temps à contrôler les enfants, leurs faits et gestes. Autant que cela soit fait et dit pour ce que c’est : de la GARDERIE des enfants des parents dont les métiers sont soit-disant utiles à un fonctionnement minimum de la société.

Cette réouverture est donc dangereuse physiquement, psychologiquement et pédagogiquement, mais elle est aussi intéressée économiquement et inutile socialement.

Sinon, comment justifier une réouverture des écoles et le maintien de la fermeture des autres lieux de sociabilité (cinémas, festivals, bars, facs, etc.) si ce n’est par la plus-value qu’apportent les écoles pour l’économie capitaliste ? À savoir dégager du temps pour les travailleur.euse.s.

Cette mise en danger de la population soulève une question ; est-ce qu’il ne serait pas temps de remettre en cause le système de production actuel que le gouvernement s’évertue à vouloir sauver quoi qu’il en coûte, et quelle est la réelle utilité sociale des métiers qui ont tant besoin d’une garderie nationale quitte à mettre en danger une partie de la population ?

Dès le début du confinement, les enseignant.e.s ont été mis.e.s à contribution pour la garde des enfants de soignant.e.s et cela peut s’inscrire dans une pratique de solidarité, bien sûr, ces métiers étant indispensables. Puis on nous a demandé de garder les enfants de policier.ère.s, gendarmes, militaires et gardien.ne.s de prison ; là, l’utilité de dégager du temps pour ces métiers est, au mieux, discutable. Maintenant, on nous demande de garder les enfants de tou.te.s les travailleur.euse.s à partir du 11 mai. Mais quitte à mettre nos vies en danger et celles de nos élèves, pourquoi n’aurions nous pas un droit de regard sur les métiers si « nécessaires » pour lesquels nous aurons besoin de garder des enfants ?

Garder des enfants de soignant.e.s, des postièr.e.s, caissier.ère.s, travailleur.euse.s sociaux.ales peut s’entendre considérant l’utilité sociale de ces métiers. Mais garder les enfants de travailleur.euse.s des secteurs publicitaires, de la finance, du secteur de la répression, etc. est à remettre en question. A-t-on besoin de ces métiers qui ne visent pas l’amélioration du bien commun mais plutôt le maintien d’un système capitaliste et la recherche de profits ? Si nous devons prendre les risques inhérents à la réouverture des écoles, nous devons exiger d’avoir un regard sur les bénéficiaires de cette garderie. Ce système ne tient que grâce à des métiers inutiles (si ce n’est nocifs) au bien commun et ces métiers ne tiennent que grâce au système.

Nous devons pouvoir exiger d’avoir un regard sur les différents métiers qui composent notre société et cela ne passera que par un prérequis : cesser de mesurer la valeur d’un métier par rapport à sa place dans les rapports de production et des profits qu’il permet mais commencer à mesurer la valeur d’un métier au vu de son utilité sociale. Il est d’ailleurs totalement absurde que les métiers les plus « utiles » socialement soient ceux qui sont les moins biens payés, les plus ubérisés et précarisés…

Ce confinement est l’occasion de re-réfléchir la société que nous voulons. La réouverture des écoles est la preuve du maintient d’un système mortifère et délétère de la part du gouvernement. Quelle est la société à laquelle nous aspirons ?

Tout comme nous exigeons d’avoir le contrôle sur l’exercice de notre métier, nous devons exiger d’avoir le contrôle sur le fonctionnement de notre société et nous affranchir du système capitaliste et libéral qui aujourd’hui comme en tout temps a fait preuve de son inéluctable caractère auto-destructif. Nous devons exiger l’autogestion dans notre travail (liberté pédagogique et tout le pouvoir aux conseils de travailleur.euse.s) tout comme l’autogestion dans notre vie politique : priorisation et valorisation des métiers utiles à la société, abolition du travail inutile et/ou nocif, contrôle démocratique de la production de biens en fonction de leur nocivité sociale et environnementale.

Des inégalités qui ne disent pas leur cause ! Ou, depuis quand se soucie-t-on des inégalités au gouvernement ?

Il est totalement hypocrite de la part du ministre de justifier la reprise des classes par les inégalités sociales que produiraient le confinement et la continuité pédagogique si chère au ministre de l’Éducation Nationale.

Les inégalités auxquelles les élèves font face lorsqu’iels sont à la maison ; inégalités face au numérique, au temps disponible des parents, à la barrière de la langue, à leurs conditions de logement, etc. ne viennent pas d’apparaître, là, soudainement. L’injonction de « continuité pédagogique » ne fait que révéler encore un peu plus les inégalités que produisent le système éducatif.

Les différentes mesures et réformes mises en place par les gouvernements successifs, dont les exemples récents, ParcourSup, « l’école de la confiance », les E3C, sont représentatifs n’ont fait que renforcer l’essence élitiste, sélective et ségrégative de l’École. Preuve supplémentaire s’il en fallait que l’évocation de l’aspect social ne sert ni plus ni moins qu’à masquer la réelle motivation de la reprise des classes ; permettre de relancer l’économie.

Nous devons dénoncer l’hypocrisie de ce discours et alerter sur la raison réelle d’une réouverture le 11 mai : remettre en route la machine capitaliste en renvoyant les parents au travail.

Reprise de l’École, reprise du travail ? Comme dans tous les secteurs, imposons nos conditions !

Dans un contexte sanitaire incertain et qui le restera longtemps, faute d’un dépistage massif et de moyens qui manquaient déjà depuis des années en situation ordinaire (tout comme pour l’hôpital public, ou tout autre service public), on va nous imposer une reprise avec la mise en place de mesures extrêmement contraignantes. Elles vont en tout état de cause empêcher l’organisation de ce qui devrait se faire dans les établissements : se disposer comme lieu d’accueil collectif, inconditionnel et sécurisant, permettant les apprentissages.

Or, quelle qu’en soit la date, la reprise de l’École ne pourra pas se faire sans nous, imposons donc nos conditions de reprise, et pas celles qu’on pensera à notre place, et qui seront en toute logique (libérale et capitaliste) insuffisantes, et uniquement tournées vers la possibilité d’un accueil de masse en vue d’une reprise d’une activité économique effrénée.

Des mesures tout de suite :

Portons des exigences de protection des personnels, des enfants, des parents. Nous ne pouvons retourner dans les établissements scolaires sans que ne soit fourni le gel hydroalcoolique, les masques, les gants et surtout, les tests nécessaires.

Des mesures pour la suite :

Pour pouvoir refonctionner, fonctionner tout court, l’école publique a besoin de moyens supplémentaires pour assurer la sécurité sanitaire et affective des élèves, de leurs parents et des personnels, mais aussi pour porter notre exigence d’une école populaire.

  • Pour une école réellement ouverte qui permette de construire et partager entre tou.te.s les travailleurs.euses et avec les familles, des pratiques et des manières de travailler, d’apprendre, et aujourd’hui de se protéger.

-Collégialité de la direction des établissements.

-Rétablissement des aides administratives à la direction d’écoles primaires.

-Arrêt des contraintes « vigipirates » qui entravent l’accès des locaux aux parents.

-Participation pour tous les personnels, dans les heures de travail, aux réunions.

-Mise à disposition des écoles tout au long de l’année comme lieu de réunion, d’accueil, d’organisation des vacances pour tou.te.s, sur place ou à visée de séjours collectifs accessibles à tou.te.s sans condition.

  • Pour une baisse des effectifs qui favorise le respect des rythmes de chacun.e, une attention particulière pour tou.te.s et facilite la circulation en situation de distanciation sociale.

-Titularisations de tous les personnels contractuels précaires qui le souhaitent.

-Recrutement massif : Certifié.e.s, P.E, AESH, AED,ATSEM.

-Formation accélérée, au sein des établissement, assurée entre pairs par les équipes qui le souhaitent.

-Annulation des fermetures de classes décidées cyniquement pendant le confinement et plus généralement lors des année passées. Revalorisation des DGH partout selon les besoins portés par les équipes.

-Construction accélérée de nouveaux établissements au cœur des quartiers. Annulation des projets de fermetures des établissement existants.

  • Pour un véritable accueil inconditionnel.

-Gratuité sans conditions pour tou.te.s de la cantine et des centres de loisirs.

-Régularisation de toutes les familles sans papiers.

-Réquisition des logements de fonction vides pour loger les familles qui en ont besoin.

  • Pour un véritable accès au numérique, qui ne dépende pas de l’intérêt et des contrats avec les multinationales.

-Équipement des établissements avec du matériel pourvu de système d’exploitation et de logiciels libres.

-Équipement massif pour tou.te.s et formation gratuite.

Pour que leur exception ne deviennent pas la règle.

Depuis quelques années, les lois, décrets et dispositions prises pendant les états d’urgence sont ensuite pérennisées dans le droit commun : perquisitions administratives, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, accès aux données téléphoniques, port d’arme hors service pour les policier.e.s…

Il n’ y a pas raison qu’il en soit autrement en ce qui concerne l’École une fois les règles contraignantes de dé-confinement mises en œuvre.

Ne laissons pas les écoles devenir des lieux toujours plus fermés, toujours plus habités de protocoles et de contraintes qui n’ont d’autres but que de servir les intérêts privés et de contrôler toujours plus la population.

Ces revendications d’autogestion, de vérité et de conditions de travail doivent être entendues et pour cela, doivent être portées haut et fort par le personnel. Nous ne pouvons reprendre dans les mêmes conditions qu’avant le confinement, c’est une question non seulement sanitaire mais également sociale.

Le tract en version PDF Reprise 11 Mai Sud Educ31.pdf