Lettre ouverte au recteur de Toulouse

Lettre ouverte à Monsieur le Recteur de l’académie de Toulouse

Nous sommes à la fin de la 3ème semaine de confinement…. Tout a été très vite. Dès le 16 mars, dans un contexte inédit et anxiogène de pandémie, les personnels de l’éducation nationale ont du faire face à des informations gouvernementales contradictoires et des injonctions ministérielles paradoxales sur fond d’urgence sanitaire et de « déclaration de guerre » présidentielle.

Sur le télétravail :

Le 17 mars, nous avons été sommé.es d’assurer la continuité pédagogique voulue par le Ministre depuis son cabinet. Or sur le terrain, elle est impossible à mettre en œuvre. Les inégalités sociales, devenues criantes, sont le principal obstacle : mal logement, fracture numérique, parents isolés, réquisitionnés, parfois malades, barrière de la langue pour les échanges par mails ou téléphone avec les familles, fin de l’accompagnement pour les enfants en situation de handicap… voilà un aperçu du quotidien de beaucoup d’élèves depuis 3 semaines.

Le ministre, que vous représentez ici et dont vous vous faites le relais, affirme dans les médias que tout est sous contrôle : mise en place du télétravail, de la plate-forme « Ma classe à la maison », innovations pédagogiques via les ENT, accueil des enfants des personnels soignants dans les écoles, poursuite de la sélection via Parcoursup… Mais quelles réalités se cachent derrière ces déclarations ? Ces réalités, les voici :

Dans le 1er degré, un accueil des enfants de personnels hospitaliers dans les écoles, sans masques, sans gants, sans désinfectant. Des enseignant.es volontaires pour assurer cet accueil, mais des personnels mairie réquisitionné.es. Des échanges de matériel pédagogique sous enveloppes papier, par voie postale ou dépôts faits dans les écoles et les établissements, au risque de participer à la propagation du virus. Une collègue, volontaire à Toulouse, a été détectée positive au Covid 19. Quelles suites comptez-vous donner à cette information en terme de protection des adultes et des enfants ? La question se pose puisqu’il est question d’élargir cet accueil aux enfants de policiers, gendarmes, personnels pénitentiaires, pompiers… Pourquoi pas ceux des caissières, éboueurs, factrices, routiers, aides à domicile, livreurs…? Les choix faits par l’institution nous interrogent sur la vision politique de la gestion de la crise : est-elle sociale et humanitaire ? Ou bien répressive et sécuritaire ?

Dans les collèges et les lycées, des serveurs institutionnels saturés. Des « classes virtuelles » chaotiques et parfois envahies par des « trolls » qui perturbent gravement les cours en ligne. Un bug sur Parcoursup. De la confusion, du stress, une grande fatigue pour les élèves, les parents et les personnels. Une mise en concurrence et des tensions au sein de certaines équipes qui ne peuvent plus se concerter. Des demandes ubuesques faites dans certains lycées de préparer la rentrée (répartition de services, choix des manuels…) alors que la question des examens vient tout juste d’être tranchée, que la sortie du confinement baigne dans un flou absolu et que les moyens attribués pour la rentrée de septembre n’ont pas été communiqués par les chefs d’établissement aux équipes.

Des inégalités entre degrés, entre établissements, entre matières, entre élèves et familles, entre zones géographiques, entre étudiant.es… La période de confinement ne peut pas sérieusement être considérée comme ayant permis une « continuité pédagogique », l’école s’est arrêtée le 13 mars 2020 et nous la reprendrons là où nous l’avons laissée en fait. Les carences et les inégalités sociales que nous dénonçons depuis des décennies auront laissé bien des enfants et jeunes « sur le bord du chemin » si vous persistez à parler de « continuité ».

Et « cerise sur la gâteau », nous devons subir le mépris de la porte parole du gouvernement qui, sourire aux lèvres, suggère qu’on pourrait envoyer « les enseignant-es qui ne travaillent pas en ce moment cueillir des fraises… gariguettes ».

Sur la hiérarchie : Bienvenu.es dans « l’école de la confiance » !

Une surveillance suspicieuse et des injonctions insupportables de certains représentant.es de la hiérarchie (IPR, IEN, chefs d’établissement) qui n’hésitent pas à harceler des collègues, par mails ou téléphones, pour leur demander de rendre des comptes sur le travail fait ou prétendument non fait. Nous pensons au contraire que les supérieurs hiérarchiques pourraient davantage nous accorder leur confiance. Pour l’heure, nous rappelons que le télétravail est encadré dans la Fonction Publique (Décret 2016-151). Les personnels ne peuvent pas être tenu.es à une « obligation de résultat » face aux difficultés techniques, aux conditions de vie et aux risque sanitaires auxquels nous faisons face actuellement. Il serait de bon ton de votre part de le rappeler aux IPR, IEN et chefs d’établissement qui n’hésitent pas à harceler certain.es collègues. La maltraitance institutionnelle n’est pas acceptable.

Sur la crise actuelle et à venir :

Des collègues précaires dans des situations financières très tendues, soumis.es à des pressions hiérarchiques abusives et très inquiet.es quant à leur avenir professionnel car non renouvelé-es du fait du confinement ou pire encore, pas certain-es d’être payé-es pour leur vacation. A l’université de Toulouse le Mirail, cela a été gagné par les personnels, à l’Université Paul Sabatier, cela semble avoir été discuté et acté.

Des retraits sur salaires pour fait de grève en cette fin de mois de mars. Vous, Monsieur le Recteur de Toulouse, à travers la voix du ministre par sa note de service du 20 janvier 2020 et le nouveau module MOSART (Module de Suivi des Absences et de Retenues sur Traitement) avez décidé de ponctionner les collègues qui ont fait grève contre la réforme injuste de la retraite à points jusqu’au montant maximum de la quotité saisissable (et même au-delà pour certain.es). La levée brutale du plafond des 4 jours prélevés fait qu’un nombre important de collègues se sont vu retirer jusqu’à 15 jours de salaire suite au mouvement social de décembre-janvier dernier. De plus, l’arrêt Omont a été appliqué pour la première fois dans l’académie. Nous demandons que sa non application reste la règle. On imagine sans peine les situations financières dramatiques quand ces coupes sombres s’ajoutent à un chômage technique ou partiel dans la famille.

Une immense incertitude sur la date, les conditions et les modalités de sortie de confinement et la fin de cette crise sanitaire, sociale et économique. Crise face à laquelle ce gouvernement, et ceux qui l’ont précédé, portent une lourde responsabilité. Le désastre actuel révèle avec acuité les conséquences de la casse des services publics (santé, éducation, poste, protection sociale, chômage, retraites..) que les politiques libérales ont savamment orchestrées depuis des décennies.

Nous demandons l’arrêt immédiat des ponctions sur salaire et un retour à un traitement à taux plein pour tous les personnels, titulaires ou précaires, dès le mois de mars en reversant sur la paie d’avril les montants amputés.

Nous revendiquons le droit aux vacances scolaires, pour les élèves, y compris ceux qui sont en difficultés, les personnels et les parents sous pression. Nous refusons les injonctions culpabilisantes des DASEN adjoints de la Haute-Garonne adressées par mail aux équipes de direction sur ce que nous devrions faire ou pas durant leurs vacances, même si c’est sur la base du volontariat et « naturellement rémunérés en heures supplémentaires».

Si nous devons accueillir les enfants des personnes non confinées par obligation de travail, nous souhaitons également accueillir les enfants des ATSEM, personnels technique, caissièr.es, agents administrifs, factrice.teurs, éboueuse.eurs…

Nous affirmons que, bien que confiné.es, nous ne sommes ni résigné.es ni bailloné.es. Nous sommes prêt.es à prendre toutes les initiatives pour rendre visible et audible notre colère. Nous n’oublierons rien de tout ça à l’heure du bilan. Nous ne pardonnerons rien à l’heure des comptes à rendre.

Veuillez croire, Monsieur le Recteur, à notre attachement au service public d’éducation nationale, à un enseignement démocratique, égalitaire, émancipateur dans une école gratuite et ouverte à toutes et tous, et aux droits des personnels, notamment les précaires, qui assurent au quotidien et sur le terrain les missions qui sont les leurs. Ils « tiennent les murs » que d’autres s’acharnent à détruire…

 

Toulouse le 3 avril 2020